Paris Match – 15/03/2016
Troquant le casque intégral, le blouson et les bottes du tarmo prêt à l’attaque contre des mitaines en cuir, un bonnet (d’âne, diront les mauvaises langues) et des baskets, j’ai testé pour vous deux modèles phares de trottinettes zélectriques, la Etwow Booster et la Citybug. Deux vraies dames du macadam à la philosophie différente.
Jadis réservée à nos jeunes têtes blondes, la patinette, parvenue au stade adulte… et high tech, s’adresse désormais aussi bien aux têtes chenues qu’aux têtes brûlées. Performant, idéal pour les virées urbaines cool ou musclées, ce mode de locomotion est une alternative sensée (et pleine de sensations) aux autos, aux vélos, aux motos et même, aux godillots… Couplée avec les transports en commun, la trottinette électrique s’impose comme l’arme absolue des trajets quotidiens. A condition qu’il ne pleuve pas…
Patinage artistique et… périls
Accéder au monde insoupçonné de la trott’ électrique nécessite quelques étapes psychologiques. La toute première étant de pouvoir mettre de côté son sens du ridicule. Quand vos collègues narquois, votre famille affligée, et pire, lorsque vos propres rejetons goguenards vous regarderont comme si vous étiez retombé en enfance, affirmez votre différence. Juché tel Ben Hur sur son char aux commandes de votre nouveau dada, ne tenez pas compte de leurs jugements bêlants. En trottinette vous n’appartenez plus au troupeau de chagrin, mais à la horde sauvage des rebelles sans foi ni loi ni code de la route, ni sens interdits. Place aux sensations, lancé à donf sur vos nouvelles routes pavées de mauvaises intentions, vos highways to hell que sont, dorénavant, les trottoirs, les pistes cyclables, les esplanades, les rues piétonnes et même les raccourcis type jardins et les parcs publics, mais là, faut pas se faire gauler…
Filant comme un bas sur la jambe d’une danseuse du Crazy Horse, vous allez découvrir qu’à moins de 30 km/h, on peut ressentir les mêmes poussées d’adrénaline qu’un pilote de Grand Prix. Et, toutes proportions gardées, vous faire les mêmes chaleurs. Cramponné à son guidon, le biker à roulettes va vite se rendre compte que son engin possède une tenue de trottoir très aléatoire. En cause, la petitesse des roues, l’adhérence très hasardeuse des pneus (pleins sur la plupart des modèles). Sur bitume sec, ça passe, sur macadam mouillé, ça casse au premier virolo pris avec un peu trop d’optimisme! Du coup, pour rester en vie, ou du moins, entier, le trottinettiste doit apprendre à décrypter les qualités de revêtements, à repérer les plaques d’égout métalliques, les fissures, les pavés, les flaques savonneuses (merci les concierges) et… les crottes de chiens. Pareil au non voyant déchiffrant une page en braille, le non chutant doit savoir lire dans les lignes du goudron et dans les reliefs de la chaussée. En effet, le diamètre ridicule des roues transforme toute bordure de trottoir un peu haute en mur du con qui s’y écrase. Sans compter que les trottinettes ne sont pas toutes pourvues de suspensions qui, de toute manière, n’amortissent que le minimum syndical. Donc, deuxième étape en forme de commandement: «Sur ta trott, le macadam tu materas! (dans les deux sens du terme)». Parlons, maintenant, des ennemis qui jalonneront vos odyssées urbaines…
Le piéton a toujours raison… même quand il a tort!
Ô toi, le débutant, le puceau des trottoirs trônant sur ta drôle de machine, sache que chaque virée ressemblera à une croisière sur le Titanic. Véritable iceberg humain, l’homo pedibus ne te montre que la partie émergée de ses intentions, lui-même ignore s’il va marcher droit ou bifurquer d’un côté ou de l’autre sans prévenir, s’il va jaillir d’une boutique ou d’un immeuble. Mais la tribu la plus dangereuse des marcheurs dans la ville est, sans conteste, celle des porteurs de portables. Enfermés dans une bulle hermétique dont l’épicentre est leur smartphone, ces zombies sont totalement imprévisibles. Ils n’entendent rien, ne voient rien. Leur seul lien avec le monde, c’est leur oreille où est collé leur téléphone comme un alien sur la tronche d’un compagnon du lieutenant Ripley. Autres îlots mouvants dérivant lors de vos courses en solitaire, les chienchiens et leurs laisses à enrouleur souvent aussi invisibles qu’une ligne pour pêcher le gros. Et le gros, c’est vous! Quant aux sales gosses qui arrivent en sens inverse sur leurs patinettes fonctionnant aux coups de jarret, non seulement ils se prennent pour des missiles sol/sol, mais en plus, ils risquent de se foutre de ce vioque qui joue les jeunots sur sa trott’ de bourgeois.
Un conseil, à l’inverse des exhibitionnistes, évitez les sorties d’école… Et les sorties de parking! S’écraser comme une fiente de pigeon sur un pare-chocs, ça peut faire très très mal. Mais attention, tous ces ennemis marcheurs à deux ou quatre pattes sont ABSOLUMENT PRIORITAIRES! Le trottoir est leur domaine, tu n’y es que toléré à condition de te faire aussi petit que ta patinette. Civilité, courtoisie, distance de sécurité, vitesse modérée, telles sont les règles que tu dois appliquer si tu ne veux pas qu’une loi trottinetticide t’interdise un jour de circuler sur la voie publique. Quoi qu’il fasse, l’homme à pied a toujours raison, surtout quand c’est une mamie. Concentré comme un pilote de Rafale, tu es désormais prêt à affronter la ville et ses pièges. Mais aussi à prendre un plaisir fou sur cet engin de vie dont le pilotage offre des délires insoupçonnés et des shoots d’adrénaline inespérés. Ecolo, rigolo, ce mode de loco-émotion vous fera traverser une ville pratiquement à la même vitesse qu’un 2 roues motorisé. Et, de toute façon, bien plus vite qu’une Porsche engluée dans les embouteillages. Imbattable dans les petites agglomérations, la trottinette électrifière est la compagne idéale des longs trajets à condition de la coupler avec les transports en commun. Pliable en quelques secondes, la trott’ moderne ne doit pas excéder une douzaine de kg sous peine de vous allonger les bras et de vous casser le dos quand vous devrez la transporter dans le métro ou la hisser dans un bus. Conscients de cette nécessité, les constructeurs proposent des produits de plus en plus légers et performants. Les deux modèles que nous avons testés pour vous, correspondent à ce cahier des charges… pas trop lourdes.
La Etwow Booster: haut de gamme, mais bas de gomme
Livrable dans une belle gamme de couleurs, cette trottinette est la sportive de la famille. Armée d’une batterie de 33 volts, elle développe une puissance de 500 watts. Ces caractéristiques font que vous pouvez compter sur une autonomie moyenne de 25 km. Celle-ci pouvant varier de plus ou moins 5 kilomètres selon les côtes que vous franchirez et, surtout, selon votre poids. Quant à la vitesse de pointe, elle peut frôler les 30 km/h sur la foi de son compteur digital légèrement optimiste. Fabriquée en Chine, la Booster est un produit bénéficiant d’une technologie de pointe. Son moteur brushless placé dans la roue avant est équipé d’un système de récupération de l’énergie cinétique permettant de recharger la batterie lors des descentes et des ralentissements. La Etwow possède deux systèmes de freinage. Le principal, actionné par une manette au guidon, est de type électromagnétique. Très efficace, il ne vous permettra pourtant pas de piler net ou alors, pas très net… En cas d’urgence, le second frein s’actionne en abaissant du pied le garde-boue arrière sur le pneu. Ce système manuel très pédestre étant le dispositif habituel des trottinettes sans moteur.
Pourvue d’un tableau de bord équipé d’un mini ordinateur de bord, la Booster propose un système automatique d’allumage du phare, une jauge du niveau de batterie, de kilomètres parcourus, un tachymètre, un indicateur de la température extérieure, un feu arrière et, même, un régulateur de vitesse. Manque que la clim… Munie de poignées rétractables de part et d’autre du guidon réglable en hauteur, la Booster offre une position de conduite agréable. L’accélérateur se manie avec le pouce droit, tandis que le gauche actionne le frein électromagnétique. Vive sans être brutale, l’accélération est franche. Relativement confortable grâce à ses suspensions qui limitent les dégats sur les mauvais revêtements. Attention aux pavés, non seulement les tressautements peuvent avoir raison des plombages de vos molaires, mais humides, ils transforment votre GT en planche de surf.
Trottinette élecrtique Etwow Booster
Et oui, le gros défaut de la Etwow, ce sont ses pneus pleins dont le caoutchouc évoque ce bois dont on fait les cercueils… C’est principalement le gommard arrière qui a la fâcheuse tendance, au bout de quelques dizaines de kilomètres, à se transformer en slick bien lisse avec zéro grip. Résultat, dès que c’est mouillé, ça chasse sec! Et, une fois encore, c’est kikiké le gibier ? La solution existe, changer ce pneu hydrophobe contre un gommard gonflable. Résultat, un confort accru, une tenue de route plus sereine. Inconvénient, une certaine perte d’autonomie. Reste que la Etwow Booster reste un redoutable outil de déplacement urbain, rapide et fun. A noter que la gamme commercialisée par la firme Etwow est également importée et vendue par la société Adrya, sous la marque L’Trott. Leurs modèles et leurs tarifs sont quasiment identiques, seule leurs dénominations diffèrent. A vous de tester leur SAV respectifs. C’est ce qui peut faire la différence…
La Citybug 2, innovante mais lente
Carénée comme un torpilleur, cette trottinette en impose, dès le premier coup d’oeil, par sa finition et son côté high tech. Pas un câble visible, pas une manette à l’horizon, rien ne dépasse sur cet objet futuriste au design de robot domestique. Alors, comment c’est y qu’on la fait bouger la bougresse? C’est là où la Citybug2 affiche sa différence. Seule trace de connectivité avec le monde extérieur, une rangée de diodes verticaux placés au pied de la colonne de direction, ainsi qu’un bouton poussoir de mise en tension. Un appui de quelques secondes, et le bouton s’illumine d’une jolie lumière bleue, les diodes servant à indiquer la charge de la batterie. Et c’est tout! Pas de tableau de bord, pas de phare, ni de klaxon, pas de compteur de vitesse. La Citybug est aussi démunie d’accessoires qu’un ermite dans sa grotte. Mais rattrape-t-elle son extrême dénuement par la richesse de ses sensations? Pour le savoir, il faut encore parvenir à démarrer. L’originalité de la Citybug tient dans son mode d’emploi. En fait, elle fonctionne sur le même principe que les fameux Segway. Pas de poignée de gaz à tourner, pas de champignon à enfoncer, pas de croupe à cravacher, ni de flancs à éperonner, mais un bon coup de jarret à donner pour atteindre la vitesse d’environ 4 km/h, puis il suffit de pousser le guidon vers l’avant pour que le moteur électrique prenne le relais. Pour ralentir, on manoeuvre dans le sens inverse en tirant le guidon vers soi. Et pour freiner vraiment, on en revient au bon vieux système du frein à pied sur le pneu arrière.
Dès les premiers tours de roues, c’est la douceur de fonctionnement de la Citybug qui en impose. Un peu trop même… Si l’on apprécie le ouaté de l’accélération, on déplore le manque de peps du moteur et sa vitesse un peu timide. Difficile d’atteindre les 20 km/h sur cette trottinette dont le comportement général induit une conduite cool type promenade dominicale. En revanche, pour un usage urbain intensif et quotidien, les performances de la Citybug s’avèreront un peu justes. Heureusement que son moteur brushless de 250 watts offre un couple généreux qui l’autorise de gravir les côtes sans problème. Autre atout de poids, ses pneus rassurants sur le mouillé, et confortables sur les mauvais revêtements. Et c’est la moindre des choses quand on sait que cette trottinette ne comporte aucun système de suspension. Gare aux vertèbres secouées et aux dents qui claquent en passant sur les pavés! Au chapitre du pliage, la Citybug propose ce qui se fait de mieux en termes de simplicité et d’efficacité. Ses 12 kg la placent dans la limite supérieure pour un usage mixte avec les transports en commun. Ça va encore, mais il faut avoir quand même du biceps… Dernier petit reproche, les poignées ne sont pas rétractables. Si le bilan concernant cette Citybug2 est mitigé, il faut saluer la finition du produit, son innovation technologique, sa tenue de route et son comportement rassurant. La marque nous promet de nettes améliorations pour la prochaine génération qui devrait être commercialisée au courant de l’année. Affaire à suivre… en trottinette, bien sûr.
Prix moyen constaté de la Citybug2: 899 euros.