Arnaud Sagnard
Le Nouvel Obs – 10/09/2018
Faut-il enfin succomber à la trottinette ? Trottinette or not ? That is the question
Patinettes électriques, hoverboards, gyropodes… Le citadin qui souhaite s’essayer à la mobilité douce fait face à une véritable jungle.
La vie urbaine a ceci de délicieux qu’à chaque rentrée elle impose à ses affidés de nouvelles modes à commenter, de nouveaux tics à moquer et de nouvelles problématiques à résoudre.
Les éditions précédentes avaient d’abord vu l’apparition d’enfants se déplaçant à trottinette pour arriver plus vite à l’école, puis celle de parents téméraires les accompagnant munis de leur propre véhicule, poussant eux aussi vaillamment d’un pied, quoique moins bien assuré, avant que les adultes se décident ces derniers temps à chevaucher seuls ces appareils.
Qui pour se rendre à leur lieu de travail ou qui pour rejoindre, de manière plus perverse, les transports en commun qu’ils encombrent avec leur bidule replié sur lui-même comme un fusil de chasse sur le point d’être rechargé. Fiers, ils le sont, car mobiles et rapides au milieu des piétons, qui, eux, piétinent.
Mais, une fois le bolide passé, certains piétons se gaussent, la vélocité n’empêchant pas le ridicule du comptable en costume gris devenu vif-argent le temps de rejoindre son employeur.
Pourquoi tout roule pour la trottinette électrique
Cette année, le citadin est confronté à un nouveau dilemme. Les trottinettes commencent à s’offrir à lui sur les trottoirs. Depuis le 22 juin, la société Lime propose ainsi aux Parisiens l’utilisation de patinettes électriques selon le modèle du « free floating » : la flotte des véhicules est accessible en libre-service sans station ni borne d’attache. Un mois plus tard, c’est son concurrent Bird qui débarquait.
Au détour d’une rue, chacun peut donc se voir confronté à l’appareil qui lui tend le guidon. Grâce à une appli sur smartphone, on repart illico avec l’engin contre 1 euro la course puis 15 centimes le kilomètre.
Si les touristes curieux ont emprunté ce service cet été, un véritable choix de civilisation s’offre aux urbains : marcher comme le font leurs semblables depuis la nuit des temps, conduire une voiture polluante et contribuer un peu plus à sa propre fin ou patiner, pour ne pas dire planer, au-dessus de la rue et de ces contingences.
Attention, précise l’entreprise Lime, originaire de San Francisco, la patrie des start-up, il faut l’utiliser « comme un vélo », c’est-à-dire « sur la chaussée ou les pistes cyclables mais pas sur les trottoirs ». L’interrogation existentielle concernera bientôt beaucoup plus de monde, puisque Lime, déjà présente à Berlin, à Francfort et à Zurich, vise une installation dans 26 villes européennes d’ici à la fin de l’année.
Entrer dans le monde de la « mobilité douce »
Le passant est prévenu, c’est du sérieux : la société, déjà valorisée 1 milliard de dollars, a levé cet été 285 millions de dollars grâce à ses nouveaux partenaires Uber et Alphabet, la maison mère de Google. Si ces chiffres et l’ombre des géants high-tech l’effraient autant que l’idée de circuler à 24 km/h entre les voitures, bus et autres scooters, d’autres moyens de transport restent à sa disposition.
Les trottinettes, électriques ou non, sont, en effet, loin de représenter l’avant-garde de la mobilité urbaine. Les hoverboards, planches à roulettes où l’on place les deux pieds face à la route, sont déjà légion. Au point que le mot entrera dans l’édition 2019 du dictionnaire le Robert avec une définition aussi technique qu’obscure aux yeux du profane : « Gyropode sans guidon. »
C’est là où le citadin de retour de vacances, déprimé à l’idée de prendre les transports en commun et fort de ses résolutions antipollution, réalise qu’il doit, pour entrer dans le monde de la « mobilité douce », faire de sérieux efforts. Le lexique du déplacement a lui-même changé. Le gyropode, visible notamment aux mains d’employés de la SNCF ou de groupes de touristes, répond à la définition suivante :
« Un véhicule électrique monoplace constitué d’une plateforme sur deux roues que le conducteur, debout, manœuvre à l’aide d’un manche. »
Il s’agit de ce qu’on appelle communément Segway, du nom du véhicule resté célèbre depuis que son créateur, le Britannique Jimi Heselden, s’est tué en tombant avec le sien dans un précipice en 2010.