La Provence – 03/03/2017
Eric Miguet
De plus en plus d’engins de transports électriques débarquent. Un phénomène qui pose questions. Débat.
L’interdiction des gyropodes, sur les trottoirs, au cœur du débat.
Vous connaissiez peut-être les Segway (la trottinette électrique avec un guidon utilisée, par exemple, par la police municipale). Depuis Noël, vous avez sans doute découvert les hoverboards (planche électrique à deux roues sans guidon).
Demain, vous allez à coup sûr voir de plus en plus de monoroues (une seule roue électrique coincée entre les pieds). Des machines inspirées du film Retour vers le futur. Ce n’est pas très Hollywood, mais en bon français, on les appelle des engins de déplacement personnel (EDP).
Aussi futuristes et pratiques pour l’urbain pressé de faire ses déplacements maison-boulot, boulot-maison ou le lycéen adepte des nouvelles technologies, ces équipements posent questions. Ont-ils une totale liberté pour circuler sur la chaussée ? Peuvent-ils filer à toute vitesse entre les piétons sur les trottoirs ? Faire la course avec les vélos avec les quelques pistes cyclables de la ville ?
Autant de questions qui n’ont pas encore trouvé de réponses. Un flou juridique entoure la circulation des EDP. Doit-on les considérer comme des piétons ou comme des véhicules ? Pas si simple. Nos voisins européens se divisent sur le sujet car la Commission européenne les invite à fixer leur propre réglementation. Les Anglais les ont totalement bannis des trottoirs. Les Allemands les comparent à des vélos et les Belges font un mix en les autorisant à une certaine allure au milieu des piétons.
Quid de la France ? Les législateurs s’interrogent. Ça turbine dans les ministères, car les services du ministre des Transports (pour la circulation des EDP), de l’Intérieur (pour la sécurité des utilisateurs) et des Finances (pour les litiges financiers en cas d’accident) tentent de définir un cadre juridique. Un texte pourrait être présenté d’ici à la fin de l’année. En attendant, chacun place ses pions. L’association Droit des piétons, n’en veut plus sur les trottoirs. Les autorités temporisent. Voici leurs arguments.
« Les interdire, tout simplement »
Selon Jean-Paul Lechevalier, président du Droit des piétons: « Ce n’est pas encore un phénomène de masse, mais ça va de plus en plus s’accentuer dans les années à venir. Si je m’en tiens à ma formation d’ingénieur, je vous dirai que je suis véritablement séduit par ces petits bijoux technologiques. Surtout le monoroue. Je trouve que le Segway fait un peu has been. Mais pour revenir sur leur place dans les villes et les trottoirs en particulier, ce n’est pas acceptable.
Ce sont des engins qui roulent trop vite au milieu des passants. On les voit nous frôler. Ils nous évitent, mais si on fait un pas de côté, il y a un risque de collision. Le problème, c’est que les utilisateurs sont souvent des jeunes qui ne se rendent pas compte de la vitesse. Ils ne voient pas le décalage entre les petits vieux, dont je fais partie, et leur allure.
Je n’ai jamais été témoin d’accident et il n’y a pas de statistiques sur le sujet. Bien souvent, c’est très fugace. Du coup, c’est difficile de le faire remonter. Si j’en ai un, je ferai un communiqué de presse !
Encore une fois, j’admire ces engins. Je les trouve géniaux, mais ça m’emmerde. Ça me gonfle. Pour le moment, il n’y a pas de règlements, c’est en débat, mais j’attends que ça soit interdit. Je rappelle les articles en la matière. Selon l’article R 412-34 du Code de la route, seuls les piétons, les cyclistes de moins de 8 ans ou encore les infirmes, qui se déplacent dans une chaise roulante mue par eux-mêmes ou circulant à l’allure du pas, peuvent utiliser les trottoirs.
À l’inverse, selon l’article R 412-7, les véhicules doivent, sauf en cas de nécessité absolue, circuler sur la chaussée. Or, selon une parution au Journal officiel, le gyropode est un véhicule électrique monoplace. Les gyropodes, les gyroroues et hoverboards ne doivent pas circuler sur les trottoirs.
Je me bats également sur cette fausse idée comme celles où les engins peuvent s’intégrer avec les piétons s’ils ne dépassent pas les 6 kilomètres/heure. Ils ne le font jamais ! Ils roulent davantage à 20 kilomètres/heure.
Par curiosité, j’ai demandé à ma compagnie d’assurance ce qui se passerait en cas d’accident entre moi et un gyropode. Ils m’ont dit que c’était comme un vélo. En vérité, ils n’en savent rien. C’est un problème.
Il n’y a pas de compromis à faire comme en Belgique en les autorisant partiellement sur les trottoirs. C’est une solution pouilleuse. »
« Il faut une vigilance commune »
Pour Stéphane Buoillon, préfet de la région Paca: « D’abord, c’est un constat qui a une forme de réglementation puisqu’évidemment tous les produits qui sont mis sur le marché doivent forcément être validés par ce que l’on appelle le service des mines, pour s’assurer que le produit n’est pas dangereux pour la sécurité des personnes. Ensuite, il faut évidemment apprendre à monter sur cette machine-là de la même manière que l’on apprend à monter à vélo. Ça, c’est le premier aspect.
Le deuxième aspect, c’est effectivement les conditions dans lesquelles ce matériel roule pour le moment sur les trottoirs ou sur les pistes cyclables. Là pour l’instant, la réglementation n’a pas évolué. Il y a des études du ministère des Transports qui sont en cours ou des analyses pour regarder s’il est nécessaire de faire évoluer la réglementation à ce sujet ou pas.
On regarde toujours en termes de réglementation par rapport au risque que ça peut représenter pour les personnes. En termes d’assurance aussi pour éviter tout simplement qu’il y ait des contentieux qui soient lourds pour les personnes. Que ce soit pour les auteurs ou pour les victimes. Et que ceux-ci se retrouvent ensuite dans des situations financières inextricables alors qu’ils pensaient simplement profiter d’un loisir.
Donc, c’est à cela aussi que sert la réglementation. D’abord, pour protéger les personnes dans leur droit. Mais à ce stade, aucune réglementation n’a encore été sortie. Sauf encore une fois la réglementation pour la sécurité du matériel. Il est toujours très bien de pouvoir moins utiliser la voiture. Mieux se déplacer que ce soit dans les transports en commun, individuel. On encourage l’usage de la bicyclette. Si on peut aussi encourager l’usage des transports aidés en matière électrique, pourquoi pas ?
Il faut cependant que les uns et les autres soient vigilants. D’autant plus pour éviter qu’on ait ensuite des accidents et qu’on nous mette une réglementation. L’espace public par principe, c’est un espace de liberté. Mais la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres.
Il faut simplement que les gens soient vigilants et respectueux des uns et des autres. Et tout ira bien. »