Olivier Razemon
Le Monde – 23/03/2021
A chaque fois qu’une personne circulant en trottinette est victime d’un accident mortel, il se trouve des commentateurs de l’immédiat, sur les réseaux sociaux, pour dire qu’elle l’avait bien cherché. Quand un quidam, sans casque, parcourt une autoroute à 85 km/h sur une trottinette au moteur débridé, les images font le tour des chaînes d’information. Lorsque les opérateurs du « free-floating » [libre-service sans borne], en 2018, déposaient leurs engins sur la chaussée et les trottoirs de quelques grandes villes, l’affaire prit une telle importance qu’elle fut débattue sur les plateaux télévisés et à l’Assemblée nationale. Et quand on retrouve certains de ces objets et leurs batteries bourrées de métaux rares, dans les canaux parisiens ou dans le port de Marseille, le couperet tombe raide : « Ce n’est pas écolo. »
« On en a un peu marre de cette mauvaise image », confie Philip Roche, président de l’Association nationale des utilisateurs de micromobilité électrique (Anumme), qui énumère de lui-même les autres griefs reprochés aux adeptes des trottinettes, gyroroues et autres skates électriques. Ces « engins de déplacement personnel », selon l’expression consacrée, seraient « des gadgets de geeks », qui pratiqueraient « une activité enfantine » en « roulant sur les trottoirs ».
« Extrêmement vertueux »
Et pourtant, « lorsqu’une trottinette remplace une voiture pour un trajet urbain, c’est extrêmement vertueux », assure-t-il, rappelant que l’objet « pèse au maximum 20 kg, contre 800 kg à 1,5 tonne pour un véhicule », que celui-ci soit électrique ou pas. En ville, où l’espace est contraint, la trottinette contribue à limiter l’encombrement des chaussées et à « réduire la pollution », affirme le représentant des usagers. Selon lui, « l’impact écologique d’une batterie de trottinette est équivalent à celui d’un vélo à assistance électrique ».
C’est aussi pour sortir du « bad buzz » que la Fédération des professionnels de la micro-mobilité (FPMM), qui rassemble les fabricants, vendeurs et les assureurs, a lancé une étude auprès de 550 utilisateurs de trottinettes électriques. Les engins sont dotés de puces et leurs propriétaires sont invités à indiquer, chaque mois, quels trajets ils effectuent, s’ils ont emporté leur trottinette dans un bus ou subi des accidents. Jocelyn Loumeto, délégué général de la FPMM, espère que cette étude permettra, « d’ici à quelques mois, d’observer cette mobilité sur la base de données tangibles », et non sur des idées reçues.
Ce n’est pas si simple. Dans l’esprit du grand public, mais aussi des décideurs médiatiques et politiques, la trottinette électrique est encore assimilée aux sociétés de « free-floating ». Et, pourtant, cet usage est minoritaire. « Il s’est vendu 478 000 trottinettes en 2019, alors que le nombre d’exemplaires appartenant aux opérateurs n’a jamais dépassé les 30 000, au moment où on en comptait une douzaine à Paris », indique M. Loumeto.
« Liberté » et « flexibilité »
Les locataires occasionnels et les propriétaires ne se comportent pas de la même manière. Les premiers, si l’on se fie à une étude publiée en octobre 2020 par la Fédération française de l’assurance, « conduisent de manière désinvolte, usant peu d’accessoires de protection et ignorant qu’une assurance est obligatoire », précise la FPMM. Les personnes qui conduisent leur propre engin, à l’inverse, « ont une conduite plus respectueuse du code de la route ». Or, souligne M. Loumeto, « la première cause des accidents, c’est l’inadéquation entre le produit et son usage. On ne verra jamais des gens qui possèdent une trottinette monter à deux dessus, par exemple ».
Le lobbying finirait-il par payer ? Entre avril et septembre 2020, « parmi les termes associés aux trottinettes, “accident” et “incivilités” ont régressé, au profit de “liberté” et “flexibilité” », observe le représentant du secteur, qui explique cette amélioration de l’image par plusieurs facteurs : « Avec les restrictions liées à l’épidémie, les priorités ont changé. Les citadins sont moins confrontés qu’avant aux usages désordonnés des touristes et les autorités ont régulé le stationnement et la vitesse. »