Reporterre – 02/01/2017
Yves Heuillard (DDMagazine)
Grâce à la motorisation électrique, les vélos deviennent des motocyclettes puissantes, rapides et lourdes, capables de rouler à plus de 70 km/h. Sur les pistes cyclables et les voies vertes, la cohabitation avec les amateurs de la petite reine traditionnelle s’annonce difficile.
L’article R110-2 du code de la route spécifie que le terme de « piste cyclable » désigne une chaussée exclusivement réservée aux cycles. L’article R311-1 du même code précise qu’un cycle est un véhicule doté d’au moins deux roues et propulsé exclusivement par l’énergie musculaire des personnes se trouvant sur le véhicule. Le même code de la route précise que par dérogation à cet article, les conducteurs de cyclomoteurs à deux roues, sans side-car ni remorque, peuvent être autorisés à emprunter les bandes et pistes cyclables par décision de l’autorité investie du pouvoir de police. Le code de la route réserve les voies vertes aux cycles sans moteur, aux piétons et aux cavaliers et il a étendu la qualité de « cycle » aux vélos à assistance électrique, ou V.A.E (puissance maxi 250 watts et assistance coupée au-delà de 25 km/h).
La vidéo ci-dessous montre un cycliste à 100 km/h sur sa machine équipée d’un moteur électrique. Les améliorations constantes des matériaux, des moteurs et des batteries permettent cela. Notez que nous posons ici la question de la compatibilité avec les voies cyclables, mais pas la pertinence de ces engins, beaucoup plus efficaces que l’automobile pour résoudre les problématiques du transport individuel.
Plus amusants encore (de notre point de vue), les vélos électriques dits « urban fat e-bikes » ou « fat e-bikes » tout court. Le « fat e-bike » est au vélo électrique ce que le 4×4 est à l’automobile : des pneus aussi larges que ceux d’une moto, des jantes énormes. À l’origine, il s’agissait de s’amuser dans le sable, la boue, la neige avec des gros pneus faiblement gonflés. La marque Sondors par exemple reste fidèle à ce concept sympathique.
« Découvrez de nouvelles sensations, plus rien ne vous sera infranchissable »
Mais petit à petit, de la même manière qu’à force de marketing on a fait croire qu’un 4×4 de deux tonnes était la voiture idéale pour la ville, le fat e-bike associé à des moteurs électriques surpuissants (jusqu’à 10 KW) pourrait se banaliser, et avec lui l’idée que « sans ce vélo de bête à la technologie de F1 qui peut rouler sur à peu près tout », vous n’êtes pas moderne. « Découvrez de nouvelles sensations, plus rien ne vous sera infranchissable, vous aimerez la neige autant que le sable, même les marches d’escalier disparaissent sous vos gros pneus, découvrez de nouveaux horizons, soyez vraiment tendance, et tellement plus encore… ». Le message est généralement destiné à une cible masculine.
On retrouve parmi les constructeurs de ces engins des marques célèbres de l’automobile de la moto ou du scooter, Audi, Bultaco ou Piaggio, par exemple. Top du genre et merveille technologique le M55 Terminus de Lamborghini, sorte de Robocop du VTT, avec un moteur de 2 KW (la photo en ouverture de cet article). La promotion associe la « bête » aux voitures puissantes, jets privés et yachts de luxe, tout ce dont vous rêvez sur votre piste cyclable… Vendu 27.000 euros.
Plus accessibles, à partir de 10.000 euros, les modèles de la marque Stealth, dont le B52 Bomber doté d’un moteur de 5.200 W et capable d’atteindre 120 km/h ! Il est significatif que Stealth ne nous ait pas autorisé à publier des photos de l’engin sans contrôler au préalable la teneur de notre article, ce que nous avons bien évidemment refusé. Côté design, jetez un coup d’œil aux machines du constructeur automobile britannique Caterham. Certains de ces modèles ne sont pas destinés à rouler sur la route et la réglementation diffère selon les pays.
Débrider les vélos électriques rapides en 5 minutes
Toutes ces machines sont magnifiquement conçues et réalisées, certainement follement amusantes à piloter. Nous avons pris des exemples extrêmes pour sensibiliser notre lecteur aux possibilités offertes par la technologie. La question n’est pas de mettre en cause la disponibilité de telles machines — et d’autant qu’elles sont des concurrentes économiques, silencieuses et peu polluantes à la voiture et à la moto —, mais de savoir si elles sont compatibles avec les pistes cyclables, les voies vertes, les chemins de randonnée des parcs naturels. À défaut de réglementer et surtout d’éduquer et de responsabiliser, il sera bientôt impossible de le faire.
De façon beaucoup plus ordinaire et plus courante se vendent des vélos à assistance électriques dit « rapides », ou S-Pedelec, capables de rouler à 45 km/h (à partir de 3.000 euros). Ils sont considérés comme des cyclomoteurs (port de casque, immatriculation, assurance obligatoires). Ils sont incompatibles avec les pistes cyclables. Mais, visuellement, ils ne sont pas nécessairement différents d’un vélo électrique de base. Ci-dessus, deux magnifiques modèles de la marque suisse Stromer, au premier plan le modèle ST1 capable d’atteindre 45 km/h sans effort et à l’arrière-plan, le modèle ST2, limité à 25 km/h et donc autorisé sur les pistes cyclables. Stromer fait partie des constructeurs qui invitent explicitement leurs clients à prendre connaissance de la réglementation en vigueur.
Doit-on en autoriser l’accès sur les pistes cyclables ? Comment faire la différence entre le VAE de base et les vélos S-Pedelec, en réalité des vélomoteurs ? Voulez-vous que vos enfants aillent à l’école sur des voies cyclables ou circulent des engins si rapides, si lourds parfois ? Et ce d’autant que, sans être un geek, un petit tour dans les forums spécialisés permet de débrider les vélos électriques rapides en cinq minutes et de rouler à 60 km/h. C’est d’ailleurs la même chose avec les vélos à assistance électrique limités à 25 km/h, car, sans que personne ne s’en inquiète, on peut les « booster » en quelques lignes de code et rouler à 40 km/h.
Le vélo électrique étend l’accessibilité des pistes cyclables à tous pour des usages multipliés
Et nombreux sont ceux qui voient des avantages à promouvoir ces engins à 3.000 ou 4.000 euros plutôt que des biclous à 150 euros. C’est que le vélo, le vélo normal, la petite reine, ne coûte quasiment rien, ne vous fait dépendre de personne, ne vous fait consommer qu’une assiette de pâtes, quelques fruits et un peu d’eau fraîche, un désastre pour le commerce, la consommation, la croissance et leurs thuriféraires.
Nous encourageons donc nos lecteurs à exposer la problématique aux représentants des collectivités locales et à les mettre face à leurs responsabilités avant que la marche arrière soit rendue trop compliquée. Les revendeurs de vélos électriques eux-mêmes ont tout intérêt à se positionner et à militer pour le respect de la réglementation, sinon ils seront assimilés au phénomène. Nous les invitons donc à afficher la réglementation en vigueur dans leurs établissements. Et nous conseillons aux utilisateurs de vélos électriques de contacter leur assureur pour savoir si leur assurance responsabilité civile les couvre en cas d’accident.
Le vélo électrique étend l’accessibilité des pistes cyclables à tous pour des usages multipliés. Il confère au vélo la qualité d’un véritable moyen de transport quotidien pour se rendre au travail. Il conviendrait toutefois d’indiquer plus explicitement les limites d’accès aux pistes cyclables ou aux voies vertes aux différents types vélos, notamment aux vélos électriques rapides (en fait, des vélomoteurs), et aux cycles, tricycles, et quadricycles superpuissants, que favorise désormais la motorisation électrique. On peut aussi se poser la question de l’usage commercial de la dénomination « vélo » à des engins qui sont en réalité des cyclomoteurs.
Sinon, c’en est fini de votre piste cyclable ou de votre voie verte. Sauf à y risquer sa vie, sauf à remettre en cause la cohabitation pour le moment conviviale, sympathique et solidaire entre cyclisme sportif, cyclisme de loisirs et déplacement populaire.