Julie Chauveau
Les Echos – 26/02/2017
Une nouvelle mobilité apparaît alors que les villes commencent à limiter la circulation des voitures. Mais la cohabitation avec les piétons est complexe.
Debout sur une ou deux roues, mains libres ou accroché à une sorte de canne, de drôles de silhouettes doublent les piétons depuis quelques mois dans les grandes villes de France. Les experts ont déjà appelé « nouvelles mobilités » où « engins de déplacement personnel » ces e-trottinettes, hoverboards, gyroroues et autres. Alors que l’hiver a été marqué par des épisodes de pollution de l’air et de restriction de l’utilisation de l’automobile, les citadins commencent à réfléchir à d’autres manières de se déplacer.
On se souvient des trottinettes en aluminium qui avaient provoqué un vent de folie dans les années 1990. Mais le marché était resté cantonné aux enfants ou adolescents, seuls quelques adultes acceptant de les utiliser. Mais les e-trottinettes capables d’aller cinq fois plus vite qu’un piéton, ou la roue pesant environ 15 kilos sur laquelle est juché l’utilisateur, ont rendu ce type de déplacement plus attractif. Sans oublier les skateboards électriques de Evo Spirit dont certains sont capables de rouler à plus de 40 km/h grâce à deux moteurs miniatures intégrés dans les roues !
« A Noël, LE produit de l’année le plus demandé par les familles était l’hoverboard », raconte Lucie Krajowa en charge de la mobilité électrique de Go Sport, une planche dotée de deux roues et d’un moteur. « Nous sommes face à une véritable accélération du marché. Nous recevons chaque jour deux e-mails proposant des produits importés par containers, mais ce dont nous avons besoin ce sont de produits solides, dotés de service après-vente dont la conception est sécurisée », ajoute-t-elle. Pour faire face aux importations de produits asiatiques à prix cassé et répondre aux demandes des utilisateurs de plus de sécurité, les professionnels planchent depuis des mois sur une norme Afnor. Au menu, présence de lumière avant et arrière, qualité de la batterie électrique.
Produits importés contre made in France
Parmi les leaders du marché, le suisse Micro fait partie des inventeurs de la trottinette en aluminium. Grégoire Henin, patron de Micro France, explique que le marché hexagonal, le plus important de la société, est passé d’un produit vendu pour des enfants à celui d’adultes urbains cherchant de nouvelles solutions de mobilité. Le groupe, qui vend dans 84 pays, fabrique environ 20 % de ses produits en Allemagne, le reste étant importé chez des fournisseurs exclusifs en Asie. « Notre dernière trottinette électrique a été conçue avec un « spin off » de Polytechnique Lausanne, qui a fait des éléments de Solar Impulse » explique-t-il. Plus légère (7,5 kg), elle dispose d’une assistance électrique.
Les start-up se sont mis sur le marché. Trottix à Aubagne a planché pendant deux ans sur la conception made in France. Les pièces métalliques, vis ressorts, plastiques, sont fabriquées dans l’Hexagone. « Mais je n’ai pas pu trouver de fournisseur pour le moteur et la batterie », explique le fondateur Arnaud Lacreuse qui a déjà lancé la fabrication d’une centaine de ses trottinettes qu’il va commencer à commercialiser dans les jours qui viennent sur le Net à… 1.630 euros. Il est soutenu par Initiative France et Total avec pour objectif de vendre aux particuliers mais aussi sur le marché des professionnels.
Une trottinette dans le coffre
Dans une chronique qui a fait du bruit, le philosophe Michel Onfray a dénoncé en août dernier une infantilisation de la société à propos du succès de ces engins. « On préfère les gens qui font de la trottinette plutôt que de la bagnole », avaient alors répliqué les internautes. Les constructeurs l’ont bien compris ; Peugeot a fait un partenariat avec Micro pour mettre une machine dans le coffre de chaque modèle 3008 . En janvier dernier, Hyundai a présenté lors du dernier CES de Las Vegas le prototype de sa Ioniq pliable, dont il promet qu’elle sera rechargeable à même la voiture. Objectif : compléter les déplacements du consommateur une fois la voiture stationnée.
Autre signe : les distributeurs ne cessent d’élargir leurs rayons. Decathlon a créé Oxelo, une marque dédiée aux sports de glisse urbaine. Dans le même temps, naissent des petits commerces spécialisés comme Urban 360, Mobility Urban, Altermove. « C’est comme les magasins pour cigarettes électroniques on commence à en voir partout », ironise un professionnel qui remarque, en même temps, que les marchands de cycles commencent à accepter de vendre ces nouvelles machines.
Le trou noir de la législation
Juridiquement, la situation des « engins de déplacement personnels » est inadaptée. Sur les trottoirs, ne peuvent rouler que des machines ne dépassant pas… 6 km/h, soit la vitesse du piéton ! Sur chaussée et sur les pistes cyclables, les seuls textes existant portent sur les vélos électriques (démarrage par pédalage) ou les cyclomoteurs, ce qui suppose d’avoir une assurance spéciale et un brevet de Sécurité routière. Résultat, on trouve des produits pouvant aller jusqu’à 50 km/h ! Une tolérance existe jusqu’à 25 km/h. Le 31 janvier dernier, une question écrite a été déposée sur le bureau de l’Assemblée à l’adresse du secrétaire d’Etat aux Transports. Elle demande si, au vu de la puissance de ces nouveaux engins et de la multiplication des accidents avec des piétons, il envisage de modifier le Code de la route afin de réglementer ces nouveaux modes de déplacement. Du côté des pouvoirs publics, une réflexion a été engagée dans le cadre du plan mobilité active qui réunit les ministères de l’Environnement, Bercy et le ministère des Transports.