Les Numériques – 04/07/2015
Bruno Labarbere
C’est dans la cour fleurie et discrète d’un immeuble haussmannien que nous avons retrouvé celui dont l’entreprise produit désormais 80 0000 trottinettes par jour, Wim Ouboter, le très philanthrope et francophile fondateur et directeur de Micro. Nous, en roue électrique, lui, chevauchant une valise/trottinette — trottivalise ? — développée en partenariat avec Suit Supply. Un café, deux croissants et trois chocolatines. C’est parti…
Les Numériques — Que pensez-vous de la réglementation européenne encadrant l’usage des trottinettes, trottinettes électriques et véhicules associés (gyropodes, roues et autres micro-véhicules électriques individuels) ou, plus précisément, l’absence de réglementation harmonisée ?
Wim Ouboter — Nous espérons que les gouvernements ne se contentent pas de parler de pollution et d’environnement, ce qui est déjà bien, mais s’ils prenaient le « risque » de se lancer dans cette nouvelle mobilité ce serait bien mieux. Si les politiciens ne légifèrent pas rapidement, les e-trottinettes et associés vont rapidement devenir illégales. De notre côté, quoi qu’il arrive, nous continuerons à les produire et à les vendre parce que, considérant le cadre légal, notre technologie hybride permet de couper le moteur pour transformer la Emicro One en trottinette classique. Nous avons donc un pied dans la légalité et l’autre… eh bien… dans l’illégalité.
Lorsque nous avons commencé à produire des trottinettes, il était illégal, en Suisse, de les conduire sur les trottoirs. Mais rapidement le gouvernement a dû se pencher sur la question. Et il a fini par créer une nouvelle loi sur les trottinettes, les skateboards, les rollers, qui sont devenus légaux en l’an 2000, exactement dix ans après nos premières trottinettes. Tous ces « véhicules alternatifs individuels » sont désormais autorisés sur les trottoirs, les pistes cyclables et les rues où la vitesse est limitée à 30 km/h. Leur seule restriction : « soyez prudents et faites preuve de bon sens. » En France, la limitation est de 6 km/h sur les trottoirs mais nous qui expérimentons depuis seize ans nous n’avons eu aucun accident. Or je ne crois pas que les Français soient plus bêtes que les Suisses…
« Pourquoi serait-il possible d’acheter un vélo électrique subventionné mais pas une trottinette ? »
Notre exemple, ce sont les vélos électriques. Au début, les gens disaient qu’ils étaient pour les fainéants et les personnes avec un gros ventre. Mais petit à petit, les mentalités ont changé et nous voyons même apparaître aujourd’hui des VTT électriques et des pistes de montagne dédiées. Le rapport à l’électrique a complètement changé. J’espère qu’il en sera de même pour les trottinettes. Je veux que les gens se disent « hey, regarde le mec cool sur sa trottinette électrique ! ». Ma question est : pourquoi pouvons-nous vendre ces vélos légalement, les subventionner, mais pas des e-trottinettes ? Ça n’a aucun sens ! D’autant plus que les e-trottinettes sont bien plus compactes, moins rapides et moins risquées que des vélos et que, si vous roulez à 20 km/h, il est toujours possible de s’éjecter rapidement… ce qui est impossible avec un vélo. C’est donc un produit plus sûr pour l’utilisateur.
Le problème, c’est que nos gouvernants n’ont jamais utilisé de trottinette. Donc ils ont, fondamentalement, besoin de légiférer sur un objet qu’ils ne connaissent même pas. C’est totalement fou ! Alors, oui, nous pourrions accélérer les choses avec du lobbying mais… nous ne sommes pas assez nombreux, nous n’avons pas assez de poids. Certes, en France, Decathlon est très puissant, mais pas encore assez face à l’Europe.
La raison pour laquelle nous avons besoin d’une loi est que nous vendons nos e-trottinettes aux adultes de plus de 18 ans. Ce ne sont pas des jouets. Nous ne voulons pas que les enfants utilisent nos e-produits, pour trois raisons. D’abord, ils sont relativement onéreux. Ensuite, parce que nous voulons qu’ils fassent de l’activité physique. Et surtout parce qu’avec notre système hybride, il faut avoir suffisamment de discernement pour savoir quand utiliser ou non la motorisation électrique.
De mon point de vue, Paris est la ville la plus avancée en ce qui concerne la mobilité urbaine. Parce que les Français sont un peu fous et très ouverts d’esprit, ils osent. En France, les gens n’hésitent pas à enfreindre la loi s’ils jugent qu’elle n’est pas pratique, ne fait pas preuve de bon sens et limite inutilement leurs actions. C’est cet état d’esprit que j’aime. Certes, je ne pousse personne à basculer dans l’illégalité, mais si nous nous limitions toujours à ce qui est autorisé ou non, il n’y aurait pas d’innovation.
Les Numériques — À propos d’innovation, comment voyez-vous nos villes d’ici dix à vingt ans ? Pensez-vous que le modèle de Londres, avec un centre-ville fermé aux voitures particulières, fera des émules ?
Wim Ouboter — Je pense que ce n’est qu’un aspect de la mobilité urbaine. Il y aura toujours, de toute manière, des voitures, mais elles restent trop encombrantes pour nos villes. Elles doivent être beaucoup, beaucoup plus petites. Et électriques. Nous travaillons dessus et, par ailleurs, nous disposons déjà de prototypes de micro-voitures électriques qui, nous l’espérons, arriveront sur le marché d’ici trois ans. Mais il est encore trop tôt pour que nous approfondissions le sujet.
Nous pensons sincèrement que si nous voulons améliorer la qualité de vie en ville nous devons repenser la mobilité urbaine. Moins de voitures, plus de voies de circulation pour les « véhicules lents » (30 km/h), dédiées aux vélos, trottinettes (électriques ou non), roues, gyropodes, etc. Et pourquoi pas, également, aux voitures électriques. Je crois beaucoup en ces dernières et surtout aux voitures partagées, comme les AutoLib’ parisiens. Parce que, si quelqu’un vient au travail avec sa propre voiture électrique et la gare dans la rue, ça bloquera toujours un emplacement qui pourrait être mieux utilisé et ça ne résout en rien le problème. Au pire, ça devient un e-problème. L’avenir est donc aux véhicules partagés.
Les Numériques — D’accord pour les voitures partagées mais, en ce qui concerne votre activité principale, les trottinettes, que prévoyez-vous ?
Wim Ouboter — Je suis heureux que vous abordiez le sujet parce que, justement, nous avons un projet allant dans ce sens. Nous avons préparé un design dédié, différent de nos autres trottinettes. Ce ne sera pas un modèle pliable, parce qu’il n’en a pas besoin. Ce scooter de location doit également être plus solide, beaucoup plus qu’un modèle classique, pour supporter les affres de la rue. Et… il faut un design qui laisse un peu de place pour y afficher des publicités. Parce que l’idée, c’est que les annonceurs payent les trottinettes, pas les usagers.
« Pour notre projet de trottinettes en libre service, nous prévoyons un abonnement annuel de 10 € par an. C’est un montant symbolique. »
Nous travaillons en ce moment avec une autre entreprise, Kaba, qui est leader dans le domaine de la sécurité (serrures, coffres-forts, etc.). Le concept est celui d’une flotte libre de trottinettes qui, quoi qu’il arrive, seront remplacées tous les six mois. Les anciens produits seront récupérés par Micro, réparés puis, parce que leur coût aura été amorti par la publicité, revendus sur le marché d’occasion, voire, dans l’idéal, vendus à un prix symbolique aux pays qui ont le plus besoin de développer leur mobilité urbaine. Nous pensons notamment à l’Afrique en général, à l’Inde, à l’Amérique latine. Les trottinettes seront purement mécaniques mais, si nous constatons que les gens adhèrent au concept, nous pourrions passer à des versions électriques. Cependant, il va y avoir un problème de coût à cause des stations de recharge à implanter, du coût de production intrinsèque et de la maintenance. Le vol et le vandalisme ? Nous y avons pensé et ils seront inclus dans le coût de développement.
Maintenant, quel est notre intérêt là-dedans ? Vous seriez surpris de savoir combien de personnes de 40 ans ou plus ne sont jamais montées sur une trottinette. Mais quand ils essaient, ils se disent souvent « wow, mais en fait c’est fun, il m’en faut une, j’en veux une ! ». Les trottinettes en libre-service sont donc la meilleure campagne marketing pour nous, pour emmener les gens à acheter leur propre trottinette, forcément meilleure, plus confortable et légère. Idéalement, des trottinettes Micro mais, s’ils vont voir la concurrence, ou optent pour d’autres micro-véhicules électriques, tant mieux : dans tous les cas, ce sera bon pour la qualité de vie en ville.
Vous avez parlé de partenariats et, effectivement, il y en aura. Avec des aéroports, des gares, mais aussi des hôtels. Nous avons déjà instauré un partenariat avec la chaîne « 25H Hostel » qui est très demandeuse de ce genre de produits parce que leur clientèle est une clientèle familiale. Nous sommes aussi en discussion avec des entreprises pour accélérer les déplacements des employés dans les locaux qui, souvent, sont très éloignés les uns des autres. Moins de temps perdu à marcher équivaut à plus de productivité. Une dernière chose : nous avons aussi des partenariats avec des musées. Nous sponsorisons depuis maintenant huit ans le plus gros musée suisse et lui avons fourni 120 trottinettes, dont nous assurons la maintenance. Le plus amusant, c’est que ce musée est celui du transport et de la mobilité.
Les Numériques — Nous avons finalement assez peu parlé des produits. Pour conclure l’entretien, que prévoyez-vous comme prochaines sorties ?
Wim Ouboter — La Emicro One est là pour que les gens se familiarisent avec le concept de la trottinette hybride. Il devrait également y avoir un modèle complémentaire début 2016, plus confortable, avec de plus grosses roues. Il y aura également la version de la Emicro développée en partenariat avec Peugeot, dessinée par le célèbre Peugeot Design Lab. Mécaniquement, ce sera la même Emicro que la nôtre mais le guidon est légèrement différent pour pouvoir adopter une position caddy quand la trottinette est repliée. C’est un modèle que votre Président, Monsieur Hollande, a beaucoup apprécié lors du dernier Salon de l’Auto.
À plus long terme, et en fonction de l’évolution de la législation, nous sortirons la Emicro Two. Elle sera doublement hybride puisqu’en plus du système Body motion il sera possible d’accélérer d’une simple pression du bouton. Pourquoi ? Parce que, pour certaines personnes, le Body motion reste encore trop sportif et nous voulons nous ouvrir au plus grand nombre. Il y aura également du Bluetooth, pour le monitoring, mais, dans tous les cas, nous ferons attention à ce qu’il n’y ait aucun câble qui dépasse. Parce que c’est notre philosophie.