Paris Match – 17/10/2015
Alain Spira
Vélos électriques, gyroroues, e-trottinettes… Désormais on roule en ville sans polluer, ni s’épuiser.
Perchés sur leur roue à moteur gyroscopique avec la grâce d’hippocampes terrestres, gravissant sans effort, sur leurs vélos à assistance électrique, les montagnes citadines à la vitesse d’un Maillot jaune, avalant les trottoirs comme des enfants gourmands sur leurs trottinettes survoltées, les merveilleux fous roulants sur leurs drôles de machines sont en train de révolutionner les transports urbains. Bientôt, les noms d’Egret, Razor, LTrott, Solowheel, Ninebot et Oxelo seront aussi célèbres que Citroën, Peugeot, Renault ou même Rolls-Royce.
Et pourtant, elles tournent… Semblant déjà habiter les cités du futur, les centaures électriques mi-hommes mi-roue, dressés comme des princes sur leurs monocycles à moteur gyroscopique, forment une caste à part. Juchés sur leurs objets roulants non identifiés, ils font tourner les têtes et fuser les questions. Voici ce que votre serviteur, au péril de sa vie et de ses genoux, écrivait sur ParisMatch.com à l’occasion de son essai non transformé d’une Solowheel, la marque historique des monoroues électriques. « L’engin se présente sous la forme d’une roue carénée chaussée d’un pneu, équipée de part et d’autre de marchepieds escamotables, le tout mû par un moteur gyroscopique basé sur la même techologie que les Segway [firme rachetée depuis par la marque Ninebot]. Il sufft de monter dessus, de se pencher en avant pour accélérer, en arrière pour ralentir, et c’est parti… les quatre fers en l’air ! Eh oui, avant de dominer la bête, quelques jours d’entraînement s’imposent. Mais après, c’est, paraît-il, le bonheur… »
Excepté si vous vous êtes déjà produit dans un cirque sur un monocycle avec un nez rouge et des chaussures pointure 84, vous avez peu de chances de fendre la foule sans une initiation sérieuse. Etre debout sur une roue pouvant atteindre 20 km/h, voire 40 pour les plus puissantes, sans rien pour se tenir, sans autre accélérateur et sans autre frein que les mouvements de son corps raidi par l’angoisse, voilà qui vous met le cerveau sens dessus dessous. Circuler sur gyroroue se mérite. D’après les adeptes, il suffit d’une demi-heure de pratique par jour pendant une semaine pour pouvoir voler, pardon, glisser comme un patineur sur l’asphalte. Le temps que vos méninges et votre organisme se mettent d’accord sur l’innocuité de cette machine à frisson et vous voilà devenu le maître de la ville, aussi à l’aise sur votre roue électrique que sur un brave vélo. Ce plaisir aussi inédit que pratique vous coûtera, pour posséder un modèle de bonne facture, environ 1 000 euros (la fourchette des prix s’étendant d’environ 500 à plus de 2 000 euros).
Sachez que la machine se recharge comme un vulgaire portable. Portable, d’ailleurs, elle l’est, avec ses 11 kilos et sa poignée de transport. Attention, ce mode de locomotion est addictif. Les ventes s’envolent au point que les revendeurs sont souvent en (courte) rupture de stock. Chaque mois, la boutique ERoue organise une randonnée parisienne réunissant une centaine de pratiquants enthousiastes. Le virus de la gyroroue est en marche. Pire, il roule. Et il n’y a pas de vaccin…
Gyropode, le cher des nouveaux Ben-Hur « Mon invention remplacera un jour la voiture dans les villes » : c’est en ces termes visionnaires que l’Américain Dean Kamen présenta son gyropode en 1999. Un mode de locomotion révolutionnaire qui sera commercialisé par la société Segway. Ironie du sort, en 2010, le propriétaire de l’entreprise, le milliardaire britannique Jimi Heselden, a trouvé la mort aux commandes d’un gyropode Segway en tombant d’une falaise. Conçu au départ pour les handicapés, le concept de ce type de véhicule animé par un moteur gyroscopique a vite conquis de plus en plus d’utilisateurs, privés ou professionnels. Il n’est pas rare de voir un groupe de touristes, emmenés par un guide, descendre en vainqueurs les Champs-Elysées sur leurs chars électriques.
Silencieux, rapides, ces « transporteurs individuels » ont aussi séduit les forces de l’ordre qui les utilisent dans de nombreuses localités. Simples de prise en main, ils demandent une bonne initiation afin d’être maîtrisés sans danger : même si la vitesse n’excède guère les 20 km/h, les accélérations peuvent surprendre le néophyte. Sûrs et instinctifs, les gyropodes n’ont que deux défauts : leur prix (entre 2 500 et 7 000 euros) et leur encombrement relatif. En revanche, ils offrent un confort, une technologie et une ergonomie incomparables. Certains modèles tout-terrain peuvent affronter les chemins forestiers. En attendant de remplacer la voiture, le gyropode est peut-être déjà le cheval du futur…
Gyros
La trottinette, c’est la Watt Longtemps considérée comme un jouet pour enfants sages, la patinette a trouvé un nouvel essor en s’adaptant à la taille et aux attentes des adultes. Qu’elles soient à propulsion humaine ou électrique, les trottinettes sont de plus en plus nombreuses à trottiner sur les trottoirs. En accédant à la motorisation électrique, cette planche à roulettes munie d’un guidon a étendu son rayon d’action (20 à 30 kilomètres) et a presque multiplié par trois sa vitesse de pointe (environ 25 km/h). Légère, repliable en une poignée de secondes, facile à manier, la e-trottinette attire une sympathie liée à l’enfance. Grâce à des évolutions constantes, ces montures sont devenues de plus en plus sophistiquées. De la performante et haut de gamme LTrott équipée d’un puissant moteur de 33 volts-500 watts (985 euros) à l’ultralégère E-Micro One (7,5 kilos, 899 euros), la gamme des trottinettes modernes est très étendue.
Certaines, plus massives, comportent même une selle. Mais, plus puissantes, elles sont assimilées à des vélomoteurs. Signe que la trottinette est en passe de devenir un véritable phénomène de société, l’enseigne Décathlon, qui vend depuis longtemps des patinettes classiques sous sa marque Oxelo, vient de commercialiser un modèle électrique, la Klick5 Easyfold. Avec un tarif concurrentiel de 650 euros, ce produit à assistance électrique devrait ouvrir ce mode de transport individuel à un très large public. Et quand vous saurez que la police new- yorkaise est équipée de trottinettes, vous ne regarderez plus les gentilles patinettes comme des joujoux.
Vélo-boulot-dodo Faisons un petit test. Décrochez un Vélib’ en fonte véritable aux alentours de la place de la République (ça, c’est pour les Parisiens, mais vous pouvez faire la même chose dans n’importe quelle ville équipée d’une colline) et remontez la rue de Belleville jusqu’au métro Télégraphe, le point le plus haut de la capitale. Si vous n’avez pas fini par rouler sur votre langue et par cracher vos poumons, c’est que vous êtes un sportif de bon niveau. Si vous avez terminé penaud, à pied, en poussant votre grise monture, c’est que vous êtes… normal. Rééditez cette expérience avec une bicyclette à assistance électrique et vous allez comprendre l’intérêt de ce genre de vélocipède high-tech. Comme poussé par une main bienfaisante, vous découvrez le bonheur suprême du pédalage zen, garanti sans pot belge ni tachycardie. Juste boosté à la juste dose pour maintenir un bon rythme jusqu’à votre destination, oxygéné sans être hors d’haleine ni en sueur, vous voici au bureau frais et dispo. E-vélo-boulot-dodo, tel est le nouveau credo du citadin moderne.
Qu’il s’agisse des classiques et chics Matra, Gitane ou Giant, des sportifs KTM ou des petits bijoux vintage de chez Wattitud, chacun peut trouver pédale à son pied avec des budgets allant de 500 à 5 000 euros. L’avantage du vélo à assistance électrique (VAE), c’est qu’il ne demande pas d’autre apprentissage que de savoir tenir sur un vélo, qu’il offre une grande autonomie (de 30 à 80 kilomètres), qu’il peut embarquer un (petit) passager et qu’il ne vous fera pas passer pour un extraterrestre, comme ça peut être le cas sur une gyroroue. Seul inconvénient, sa taille et son poids ne rendent pas facile le panachage avec les transports en commun. Pas commode de prendre un bus ou le métro aux heures d’affluence avec son vélo électrique. Il n’en demeure pas moins que les VAE sont devenus les stars des nouveaux moyens de transport urbains autonomes. Electrisée, la petite reine n’est pas près d’être détrônée !