ADRIEN LELIEVRE
Les Echos – 12/01/2019
Pas moins de six start-up se sont déjà lancées sur le marché parisien des trotinettes électriques en libre-service. Une bataille aussi féroce qu’incertaine. En attendant d’en connaître le vainqueur, ces entreprises transforment l’espace urbain.
A ce rythme, il ne restera plus aucune couleur disponible. Depuis quelques jours, les trottinettes électriques rouges de la start-up VOI et les vertes de sa concurrente Tier ont fait leur apparition sur le bitume parisien. Elles y côtoient les engins à roulettes de Lime, Bird, Bolt et Wind, qui se sont lancées à tour de rôle depuis l’été 2018.
Et la liste va encore s’allonger. Scoot est en train de se constituer une équipe à Paris , Dott, fondée par deux « Frenchies » à Amsterdam, va débuter un programme pilote à Station F au premier semestre 2019 et la société versaillaise Wetrott’ arrivera à la Défense en avril . Un an et demi après la naissance des premières start-up de trottinettes en libre-service aux Etats-Unis, Paris peut ainsi se targuer d’être la capitale mondiale de cette industrie en plein essor.
A titre de comparaison, Madrid compte trois opérateurs – récemment suspendus -, Londres un seul, New York et Berlin aucun. Il n’y a que Washington qui boxe dans la même catégorie.
Une ville densément peuplée et compacte
L’attraction exercée par la Ville Lumière auprès de ces jeunes pousses s’explique par des facteurs démographiques, géographiques, politiques et économiques. Avec 2,2 millions d’habitants, Paris est l’une des métropoles les plus denses d’Europe (environ 21.000 habitants par kilomètre carré).
Alors que les transports en commun sont régulièrement saturés et que les distances pour relier le Nord au Sud (moins de 10 kilomètres) et l’Est à Ouest (18 kilomètres) sont relativement courtes par rapport à d’autres capitales, ces sociétés estiment pouvoir tirer leur épingle du jeu.
Les premières données fournies par Lime et Bird, les leaders américains du secteur, semblent confirmer cette intuition. Six mois après leur arrivée à Paris, la première a revendiqué plus de 2 millions de trajets et 315.000 utilisateurs. La seconde estime que plus de 110.000 personnes ont déjà eu recours à son service .
Ces start-up bénéficient de leur (relative) ancienneté et de leurs moyens financiers importants. Elles ont respectivement levé 455 et 415 millions de dollars depuis leur création et rejoint à la vitesse de l’éclair le troupeau des « licornes » . Mais leurs rivales n’ont pas dit leur dernier mot. Elles ont également levé d’importantes sommes d’argent ces derniers mois et mettent en avant leur identité européenne (pour Wind, Tier, Bolt, Dott, Voi) pour se démarquer.
Une politique favorable
L’un des points communs de ces jeunes pousses est qu’elles sont aimantées par la politique de transport d’Anne Hidalgo. Depuis son élection en 2014, la maire socialiste a fait du développement des mobilités douces (marche à pied, vélo, trottinette, etc.) l’une des priorités de son mandat.
Pour cela, elle multiplie les chantiers – dont l’un des symboles est la piétonnisation des voies sur berges rive droite. Une aubaine pour les aficionados de la trottinette, qui empruntent avec délice les pistes cyclables récemment sorties de terre. « Nous sommes favorables à tout ce qui contribue à une mobilité décarbornée et à un report modal de la voiture vers les autres modes de transport comme la trottinette ou le vélo », observe Christophe Najdovski, adjoint aux transports à la mairie de Paris.
L’arrivée quasi simultanée de ces flibustiers du bitume peut également s’expliquer par le flou juridique entourant leur activité. L’une des missions de la future loi d’orientation des mobilités (LOM) sera en effet de créer un cadre réglementaire pour les acteurs du « free floating », terme anglais qui désigne les véhicules en libre-service sans station. En attendant, les spécialistes de la trottinette font le pari qu’il vaut mieux être présent à Paris le plus tôt possible, quitte à faire évoluer leur stratégie dans quelques mois.
Mais surtout, ces entreprises tentent l’aventure parisienne car elles sont convaincues de pouvoir gagner de l’argent en apportant une solution au problème du dernier kilomètre, crucial dans le secteur des transports. A la sortie du métro ou du RER, de plus en plus de Parisiens utilisent ainsi une trottinette pour rejoindre plus vite leur lieu de travail ou leur domicile.
Une concurrence féroce
« Sur le papier, le modèle économique de ces start-up est attrayant », décrypte Maxime Lescrainier, consultant chez Colombus Consulting. « Le prix d’achat d’une trottinette électrique est compris dans une fourchette allant de 400 euros à 600 euros. La course coûte 1 euro, auquel il faut ajouter 15 centimes par minute d’utilisation. Si l’usage est intensif, la start-up peut espérer un retour sur investissement rapide, même si le coût de la gestion de la flotte est l’une des grandes inconnues. »
Il faudra également voir comment les trottinettes résistent aux vols, aux dégradations et aux privatisations par des particuliers : des fléaux qui ont contraint trois start-up de vélos en free floating (Gobee.bike, Obike, Ofo) à se retirer du marché parisien en quelques mois.
À LIRE AUSSITrottinettes, vélos : pourquoi le secteur de la micromobilité est en ébullitionAlors que les six opérateurs proposent un service assez semblable, la bataille promet d’être féroce. « D’ici à la fin de l’année, l’hypothèse d’une consolidation dans le secteur est élevée », pronostique Maxime Lescrainier. En attendant de savoir qui en sortira vainqueur, ces entreprises transforment déjà le paysage urbain. Au petit matin, des trottinettes de toutes les couleurs sont déployées parfois anarchiquement sur les trottoirs. Ce qui n’est pas sans provoquer des frictions avec les piétons…
Une charte de bonne conduite
Soucieuse d’encourager ces offres de mobilité tout en corrigeant les dérives, la mairie de Paris travaille actuellement sur une charte de bonne conduite pour les start-up de trottinettes, à l’image de celle déjà signée avec les spécialistes du vélo.« L’idée, c’est que les nouveaux opérateurs signent cette charte à leur arrivée afin de faciliter l’acceptation du public. Car, malheureusement, on observe des incivilités », précise Christophe Najdovski.
La mairie expérimente également des zones de stationnement dans les 2e et 4e arrondissements pour l’ensemble des acteurs du free floating (trottinettes, vélos, scooters). Autant d’évolutions que peu de personnes auraient pu imaginer il y a encore quelques mois.